Le vœu de conversion de vie
Lorsqu’on pense à la vie religieuse et aux vœux qui l'accompagnent, spontanément viennent à l'esprit pauvreté, chasteté et obéissance. Or, si beaucoup de religieux prononcent effectivement ces trois vœux, ce n'est pas le cas des bénédictins. Ceux-ci, le jour où ils s'engagent, promettent obéissance, stabilité (ce qui signifie rester dans la même communauté, et donc, sauf cas exceptionnel, dans le même lieu de vie) et … conversion de vie.
Ce dernier vœu recouvre une réalité très vaste, c'est tout l'être qui se trouve ainsi engagé. Et c'est très beau. C'est sans doute l'un des points clé de la vie bénédictine et c'est celui qui m'a conquise lorsque je me suis posée la question de la vie religieuse.
Pour moi, la conversion de vie, c'est une chance qui m'est offerte de marcher chaque jour à la suite du Christ. C'est reconnaître que je suis en chemin, à une distance inconnue du but, et c'est accepter en même temps que je ne suis pas encore au terme de ma progression. Avec réalisme, saint Benoît nous demande de nous convertir, pas d'être déjà converti ! « Chaque jour je commence » nous disent les Pères à la suite de saint Paul. Et c'est cela qui nous est demandé ici.
Dire que je suis en cours de conversion, c'est dire que chaque jour je me tourne un peu plus vers le Christ, que j'oriente davantage ma vie vers Lui, que je Le laisse me polariser vers Lui et pour Lui.
Concrètement, cela se vit d'une part par les efforts de chacune et d'autre part par la reconnaissance des manquements qui ont atteint, d'une manière ou d'une autre, la vie communautaire. Ce n'est pas une chose facile que de dire devant toutes que, en telle ou telle occasion, nous n'avons pas su, pas pu, pas voulu, répondre à ce qui nous était demandé. Mais cela permet de tomber le masque, de ne pas jouer un personnage, d'être vraie avec soi-même et avec les autres. Cette reconnaissance n'est pas de l'auto-dénigrement. C'est simplement une occasion d'accueillir sa propre faiblesse et aussi celle des autres. >
Personnellement, je l'ai vécu comme une profonde libération. Pendant des années, je n'avais connu qu'un accueil conditionnel, qui m'interdisait tout faux pas. Je devais être forte à tout prix, c'était la condition pour être acceptée. Au monastère, j'ai découvert un accueil inconditionnel, une acceptation de celle que je suis en vérité, avec mes zones de lumière, mais aussi mes zones d'ombres. Ce qui ne me donne pas le droit de faire n'importe quoi. Mais qui me permet d'être vraie, de ne pas avoir à me composer un personnage.
Cette conversion de tout mon être que je cherche à vivre n'est pas une quête de « mon moi et mon Dieu. » Oui, cette démarche me rapproche de Dieu, et elle me rend heureuse. Et parce que Dieu prend plaisir à mon bonheur (cf. Dt 30, 9), je crois que cela Le rend heureux, Lui aussi.
Mais je crois aussi que Dieu veut agir dans le monde. Il pourrait le faire sans nous, Il le fait parfois, mais souvent, Il ne le veut pas. Pour pouvoir agir en moi, par moi, un seul moyen, une seule voie : que je Le laisse venir en moi occuper progressivement tout l'espace. C'est cela aussi la conversion, et son nom devient alors sainteté. Et dans la communion des saints, « une âme qui s'élève élève le monde. » Chaque pas sur le chemin de la conversion est porté par tous ceux que d'autres ont posé avant moi, et, mystérieusement, dans le Christ, il peut soutenir ceux que d'autres poseront à leur tour.
Ce chemin est pour moi chemin de vie et de bonheur. Parce que je le vis avec Dieu et avec mes sœurs.
Une Soeur de Venière.